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Créé par Jerry Robinson, Bill Finger et Bob Kane en 1940 pour le comics Batman, le Joker s’est depuis imposé comme l’un des personnages psychopathe les plus emblématiques de la culture populaire et par extension, du cinéma contemporain.
Après le fantasque Jack Nicholson dans le Batman (1989) de Tim Burton et l’inquiétant Heath Ledger de The Dark Knight par Christopher Nolan en 2008 (ne comptez pas sur nous pour évoquer l’anecdotique Jared Leto dans Suicide Squad), c’est au tour de Joaquin Phoenix d’endosser non pas la cape, mais le costume coloré du clown le plus dangereux de Gotham City.
Porté par Todd Phillips, cinéaste jusque là méconnu (réalisateur de l’amusant Very bad Trip et de l’insipide Starsky et Hutch) et bénéficiant d’un “petit” budget de 55 millions de dollars (contre 365 million pour Avenger Endgame), le projet avait pourtant de quoi inquiéter au départ…
Contre toute attente, le réalisateur prend tout le monde à revers pour nous plonger dans une vision sombre et personnelle de Gotham, bien loin des comédies populaires qui avaient fait sa petite réputation à Hollywood.
Bande annonce Joker 2019
Acteurs
Gotham, la ville du péché
Tourné dans le quartier du Bronx à New York, le Gotham de Todd Phillips se veut froid et réaliste. L’action se déroule aux alentours des années 1970 (bien avant l’existence de Batman), dans une cité aux abois en proie aux inégalités sociales et à la criminalité. Une ville ou les plus riches, du haut de leurs tours d’ivoire, donnent des leçons de morale aux plus démunis sans aucune forme de pudeur.
Thomas Wayne, père de Bruce (destiné à devenir l’homme chauve-souris) est d’ailleurs l’archétype même de l’homme politique hautain et détestable, à mille lieux du portrait élogieux dont nous ont habitués les précédentes adaptations de l’univers de Batman.
Qu’on se le dise, Gotham est pourri jusqu’à la moelle. C’est un coupe-gorge où la violence peut surgir à tous les coins de rue. C’est dans ce contexte délétère que nous faisons la connaissance d’Arthur Fleck, pauvre type un peu paumé souffrant de problèmes mentaux, comique raté et accessoirement, futur Joker.
Ce tableau morose, point de départ du film Joker, n’est pas sans rappeler le New York de Taxi Driver et La Valse des pantins du grand Martin Scorsese, films dans lesquels on retrouvait déjà le non moins gigantesque Robert De Niro.
Pour l’anecdote, l’acteur italo-américain multi-oscarisé campe ici un présentateur télé sans vergogne, clin d’oeil évident au présentateur Jerry Langford auquel il faisait face dans la Valse des pantins. Les références à Scorsese sont nombreuses, le réalisateur Todd Phillips ne s’en cache pas et les clins d’oeils à la filmographie de son maître de cinéma transpirent à travers chaque plan de son oeuvre.
Alors, medley version cheap des films de Scorsese ou véritable claque cinématographique ? On vous décrypte tout ça dans les prochaines lignes…
Joaquin Phoenix, l’homme qui valait trois Oscars
Nommé trois fois aux Oscars pour The Master, Walk the Line et Gladiator, Joaquin Phoenix n’a pour autant jamais pu soulever la précieuse statuette. Malgré tout, cet acteur caméléon a su se tailler une solide réputation à Hollywood grâce à des prestations convaincantes et un panel de jeu très large. Joker signera t-il la fin de cette malédiction ? Brisons le suspens tout de suite: dans Joker, la prestation de Joaquin Phoenix à de quoi forcer le respect.
Dans la peau d’un Arthur Fleck perturbé et rachitique (l’acteur a perdu une vingtaine de kilos pour mieux coller au personnage), l’acteur joue le rôle d’un pauvre type souffrant d’une maladie mentale et nerveuse qui l’oblige à rire dans les situations les plus stressantes. Cela l’amènera à se retrouver dans des situations très inconfortables… Victime d’une société qui le rejette en tant que marginal, il va alors entamer une lente descente aux enfers jusqu’au bouquet final.
Joaquin Phoenix s’accapare tout l’espace, fascine, portant littéralement le film à bout de bras. La caméra est braquée sur lui une grande partie du film mais on ne s’en lasse pas, tant la folie du futur Joker transpire à travers tous les pores de sa peau.
Ce pauvre Arthur vous fera passer par toutes les émotions, de la pitié au dégoût en passant par la tristesse et la colère. Une véritable prouesse qui restera dans les mémoirs de tous les spectateurs ayant assisté à l’éclosion de Joaquin Phoenix en Joker.
Pour résumer, bien qu’on pourrait parfois déplorer une légère pointe d’exagération que certains taxeront de “sur-jeu”, nous préférons y voir la retranscription d’un être instable émotionnellement et à la folie lancinante, qui ne peut se traduire à l’écran que par l’expression très explicite de son mal être.
La prestation de Phoenix, plus que convaincante, subjugue par sa puissance évocatrice. Un rôle qui le met déjà en bonne place dans la course à l’oscar même si beaucoup de films sont à venir d’ici février 2020 (date de la 92e cérémonies des statuettes d’or).
On croise les doigts !
Joker, un film estampillé Gilets Jaunes ?
A l’instar de “Orange Mécanique” en son temps, le joker a été taxé par une partie de la presse américaine de promouvoir et de légitimer la violence, notamment celle des classes populaires lésées par le grand capital.
Le film Joker a, en effet, suscité une vive polémique outre atlantique et des policiers ont été chargés de protéger l’entrée des salles américaines. Des fouilles ont même été effectuées sur les spectateurs pour éviter toutes dérives (les souvenirs de la fusillade d’Aurora sont encore très frais).
En France, Juan Branco, l’un des leaders des gilets jaunes s’est targué d’un tweet en soutien au film, dont il revendique les idées. À Hong Kong ou au Liban, des manifestants commencent déjà à arborer le masque du Joker. Pour autant, peut-on taxer le Joker de film légitimant la violence d’un peuple contre ses institutions ?
La réponse est non, le film n’explique à aucun moment ce qui est bien ou mal, moral ou non. Est-ce bien là le rôle d’un film, d’ailleurs ?
Dans Joker, on nous montre le parcours d’un homme qui va sombrer profondément dans la folie et céder à la violence la plus primaire. Cette violence, il va d’abord la subir, avant de la retourner plus fort encore contre une société qui le méprise et ne veut plus lui venir en aide.
Le film ne cherche pas non plus à esthétiser la violence, critique souvent émise par une partie de la presse à l’encontre des films de Quentin Tarantino. Ici, c’est sale, c’est brutal, sans aucun artifice. La volonté du film est de montrer d’où le mal peut provenir à travers le parcours d’Arthur Fleck, pas de lui donner de fausses excuses.
La réalité est complexe et de nombreuses causes peuvent engendrer la violence des individus qui la compose, cela ne rend pas l’acte violent moins pardonnable mais simplement explicable et donc, plus prévisible. Oui, Joker est un film qui contient de la violence, mais vous savez quoi ? La violence existe.
Qu’elle soit le fruit d’une société sur des individus ou des individus envers la société elle-même, elle existe par delà le film. Todd Phillips pointe simplement du doigt une vérité, un cercle vicieux dont il ne saurait être la cause mais un simple témoin parmi tant d’autres.
Le cinéma raconte une histoire, le cinéma ne fait pas l’Histoire.
Une oeuvre importante pour le Hollywood de demain
À l’heure d’un DMCU (Disney Marvel Universe) édulcoré et d’un DC Univers sur le déclin, Joker vient donner un grand coup de pied dans la fourmilière. Oui, messieurs-dames les producteurs, on peut faire un film d’auteur sur un univers comics, offrir une oeuvre complexe à des spectateurs habitués à la bien pensance sans saveur des blockbusters hollywoodiens, sa rasade d’effets spéciaux colorés et ses explosions en tout genre. Et oui, on peut faire autre chose que du divertissement pur pour proposer une vision artistique très personnelle et non calibrée de ce que peut être un grand film aujourd’hui.
Joker est une oeuvre viscérale, moralement provocante, un chef d’oeuvre ? S’il est encore trop tôt pour offrir au film une telle éloge, gageons que le Joker est d’ores et déjà une oeuvre majeure qui tire son épingle du jeu au milieu des grosses machines hollywoodiennes.
Un film puissant, politique. Une réussite total et un succès qui fait rire jaune les actionnaires de la Warner, qui peuvent déjà s’en frotter les mains !